Méga entrepôts logistiques : aberrations écologiques, économiques et sociales

Moins de bitume, plus de légumes !

Les palettes, les fenwick, les tapis roulants, les entrepôts, les cartons, les cages, les routes, les rails, les ports, les aéroports, les cargos, les grues, les camions jouent et composent l’infrastructure matérielle de la logistique.

Face cachée de la société de consommation, le secteur de la logistique prospère sur le territoire français. Longtemps vu comme un simple outil de stockage des marchandises, l’entrepôt est devenu un véritable produit d’investissement, développé par des foncières spécialisées.

Infrastructure d’un monde à l’agonie. Un monde où le mode de production capitaliste étend chaque jour sa domination, impose des flux de plus en plus tendus et exploite toujours plus les hommes, les femmes et la nature.


I- LA LOGISTIQUE C’EST QUOI ?

Le secteur de la logistique est devenu central dans les économies capitalistes. Avant la logistique consistait à transporter un produit d’un point A à un point B, c’était simplement une fonction pour l’économie. Aujourd’hui, la logistique n’a plus juste une fonction de transport, elle est devenue stratégique car elle crée de la valeur, on arrive à créer du profit à travers la circulation. Avant, on considérait que le lieu central dans le capitalisme et l’économie c’était le lieu de production, aujourd’hui, dans le nouveau capitalisme, la circulation, le flux, a une place centrale.

La logistique crée de la valeur en déplaçant le lieu de production et donc permet et entraîne les délocalisations qui demandent beaucoup de transports. Elle crée également le développement de la sous-traitance. A partir des années 80, c’est le début du recours à l’externalisation, l’éclatement de la grande usine et il y a un besoin de logistique pour faire circuler entre toutes les différentes unités de production.

La valeur d’un objet vient du fait qu’on produit chacun de ses composants de façon complètement éclatée sur la planète là où c’est le moins cher (main d’œuvre moins chère ou règles environnementales moins contraignantes…). La logistique crée la connexion entre tous ces lieux, la circulation crée une nouvelle forme de valeur. En somme, la logistique c’est la clef de la circulation du capital et de sa valorisation.

La logistique repose sur 3 supports fondamentaux : les réseaux de transport (y compris zone de stationnement), les interfaces multimodales (ports maritimes ou fluviaux) et les interfaces logistiques (les entrepôts).

Un entrepôt ce sont des flux qui entrent et des flux qui sortent et entre les deux, un réagencement de ces flux. On parle d’entrepôt XXL au-dessus de 40 000 m2.


II- LES GRANDS ENTREPÔTS, UN ESSOR FULGURANT DEPUIS UNE DECENNIE SANS ORGANISATION NI REGULATION

La logistique est une des nouvelles infrastructures de l’économie en France et dans le Monde. Le développement des entrepôts logistiques s’accélère chaque année, depuis 2015 des constructions d’entrepôts sont chaque année supérieure en surface aux constructions de bureau ou de commerce. La surface dédiée aux entrepôts en France a explosé entre 2008 et 2022, elle est passée de 32 millions de m2 à 90 millions de m2.

La très grande majorité des plateformes appartiennent à des fonds d’investissement, dont beaucoup sont étrangers. Un tel engouement n’a rien de surprenant, dans un contexte de marché logistique « en croissance », où les investisseurs sont assurés de réaliser une plus-value.

Avec les objectifs du ZAN (objectif « Zéro Artificialisation Nette » des sols en 2050), les opérateurs d’entrepôts logistiques font des réserves foncières en privilégiant les terres agricoles au foncier moins cher, avant qu’il ne soit trop tard et spéculent sur ces terres qui vont devenir de plus en plus rares et chères.


Une dynamique largement encouragée par les pouvoirs publics

Pour permettre l’essor des entrepôts, les acteurs de l’immobilier logistique ont bénéficié d’un accompagnement bienveillant des pouvoirs publics (lancement d’une stratégie nationale logistique en 2022, exemption des nouvelles règles contraignantes pour l’installation de surfaces commerciales sur des terrains de pleine terre, allègement fiscaux massifs…)

En échange de leur soutien, les pouvoirs publics font confiance au secteur pour réaliser sa transition écologique : L’État a notamment signé une charte par laquelle les acteurs de l’immobilier logistique s’engagent à couvrir 50 % de leur toiture d’entrepôts de panneaux solaires, à privilégier l’installation sur des friches existantes ou encore à infiltrer 100 % des eaux pluviales sur leurs sites.

Les recettes fiscales de l’installation d’entrepôts constituent une source de revenus substantielle pour les collectivités territoriales, en particulier les communes et les établissements publics de coopération intercommunale. Et les retombées fiscales peuvent parfois inciter les exécutifs locaux à privilégier ces projets au détriment d’une évaluation exhaustive de leurs implications à long terme.


Des retombées économiques locales contrastées


De nombreux élus acceptent ou souhaitent des projets d’entrepôts pour des raisons financières, sans considération des effets globaux des projets sur le territoire, mais
de plus en plus de communes s’opposent à la construction d’entrepôts et de plate-formes logistiques
, car elles y voient plus de nuisances que d’avantages
.
Et parmi les impacts clairs sur l’économie locale, il y a l’augmentation du trafic local de poids lourds qui requiert des adaptions des infrastructures de transport.


III- LES EMPLOIS DANS LES ENTREPÔTS MAJORITAIREMENT MARQUÉS PAR LA PRÉCARITÉ ET LA PÉNIBILITÉ

La logistique fait partie des secteurs en France où le nombre d’ouvriers augmente : dans les années 80, 8% des ouvriers en France était dans la logistique (entrepôt hors transport), aujourd’hui ils sont 15%, c’est une évolution énorme. ¼ des emplois ouvriers en France sont dans la logistique et dans le transport.

L’emploi logistique aujourd’hui en France, c’est 1 800 000 emplois, dont 80% ouvriers (en comparaison dans le secteur automobile = 40% d’ouvriers). Ce sont des métiers peu qualifiés et sans possibilité d’évolution dans le secteur (les 20% de postes restant dans la logistique ne sont pas accessibles aux ouvriers).

Le recours à l’intérim dans le secteur de la logistique est structurel et se fait en continu, il représente 26% des ouvriers (ils étaient 7% en 1994) et 32% pour les ouvriers non qualifiés. Les agences de travail généralisent les contrats très courts qui permettent de consommer une main d’œuvre toujours renouvelée et de laisser pour compte les personnes dont l’usure du corps et les douleurs ne leur permettent plus de travailler à des tâches aussi dures.

Le travail, dans le secteur logistique, se caractérise majoritairement par une forte pénibilité et une forte précarité. S’il existe une grande variété d’emplois, la grande partie des postes sont occupés par des ouvriers, ce qui témoigne d’un niveau de qualification très bas. Ces emplois sont peu rémunérateurs.

La logistique est un secteur qui ne forme pas ses salariés, moins de 5% des ouvriers exerçant sur des postes logistiques ont reçu une formation spécialisée dans le transport, la manutention ou le magasinage.

Dans les années 2000 a commencé à se développer une connexion des logiciels avec les ouvriers. De nouveaux outils sont apparus dans les entrepôts : commande vocale (casque, micro, voix numérique…), écran tactile, scanner intégré (scan codes-barres…), GPS embarqué… Ce qui a produit sur le travail une perte d’autonomie et de savoir-faire (obligation de suivre le script imposé par la machine), une individualisation du travail (plus de nécessité de contacts humains pour faire son travail) et une intensification des cadences (en 2 ou 3 semaines, l’ouvrier avec un casque sur la tête travaille 10 à 15 % plus vite… enchaînement des gestes, l’ennui au travail fait accélérer les gestes…) en lien également avec des primes de productivité très forte.

Chaque jour dans un entrepôt, un ouvrier soulève 4 à 5 tonnes de poids pour la petite épicerie, 8 à 9 tonnes lorsqu’il s’agit de boissons et jusqu’à 10 ou 12 tonnes pour des fruits et des légumes. Ce qui est source de problèmes de santé importants.

La logistique est le secteur en tête de classement pour les accidents du travail et les maladies professionnelles. Cela a explosé dans les années 2000 en même temps que l’implantation de la commande vocale… dans les entrepôts.

Le taux d’accidentologie est particulièrement élevé dans le secteur logistique mais demeure sous-comptabilisé et sous-déclaré. C’est un secteur où la forte pénibilité du travail est minimisée ou même souvent dissimulée. Ce sont des métiers très physiques, avec des populations presque exclusivement masculines, et un rythme de travail qui s’accélère de plus en plus au fil des années. Les risques professionnels liés à la logistique, sont notamment les troubles musculo-squelettiques (TMS), les chutes, les accidents de circulation et les risques psychosociaux.

Sans évolution professionnelle possible, avec des conditions de travail pénibles, des salaires assez bas, et une usure des corps… l’unique horizon partagé par la plupart des ouvriers de la logistique c’est de quitter l’entrepôt.


La logistique opportunité ou poids pour le territoire ?

Le marché de l’emploi de la logistique est dans une situation paradoxale : la demande en recrutement est forte mais confrontée à des difficultés d’embauche depuis 2014. La logistique est un secteur où les ouvriers ne restent pas longtemps, qui consomme beaucoup de main d’œuvre, qui recrute en permanence…

À court terme, l’absence d’attractivité des emplois logistiques et la forte rotation ont pour conséquence d’assécher les bassins d’emploi. Sur le long terme, les besoins en main-d’œuvre dans le secteur logistique ralentissent, malgré la hausse constante de l’activité.

Si la grande distribution ou le secteur du retail est souvent locataire in fine des entrepôts logistiques, ce sont des sociétés immobilières comme Prologis ou GLP qui font les investissements. Lorsqu’un entrepôt logistique se construit, on ne sait pas à l’avance pour combien d’emplois. Les opérateurs construisent les bâtiments, et ensuite les louent. Ces entrepôts sont dits « gris » lorsqu’ils obtiennent l’autorisation environnementale sans connaître leurs utilisateurs ou « blancs » s’ils sont construits et livrés (stade plus avancé) sans connaître leurs utilisateurs. Les promoteurs immobiliers investissent sans certitude de trouver des locataires.

Mais est-ce une opportunité pour les territoires ? Les seuls territoires où c’est présenté comme une opportunité ce sont les territoires où on n’arrive pas à attirer des emplois industriels, les territoires désindustrialisés avec un taux de chômage élevé. Quand on arrive à attirer de l’activité industrielle sur un territoire, on rejette la logistique, car les emplois sont de faible qualité et il y a une occupation d’énormément de surface pour peu d’emplois.

Et de fait, pour les territoires, en réalité c’est plutôt un poids. L’implantation d’entrepôts logistique nécessite un entretien très important des infrastructures (routes, autoroutes, bretelles, ronds-points…) qui coûte très cher aux collectivités locales.

A ce coût peuvent être ajoutés des coûts sociaux et sanitaires. Les nombreuses personnes qui sortent des entrepôts logistiques doivent être formées à nouveau et souvent elles ont des problèmes de santé… ce qui entraîne des coûts sanitaires (pôle emploi, sécu…) et ce sont des coûts socialisés, qui ne sont pas à la charge de l’entrepôt mais à la charge de la société.

De plus, installer de la logistique sur un territoire c’est un pari risqué pour les collectivités avec un investissement lourd sur les infrastructures car les entrepôts se déplacent beaucoup. C’est beaucoup plus facile de déplacer un entrepôt qu’une usine.

Enfin, bien que les entrepôts contribuent à l’économie locale en créant des emplois directs et indirects, ils entrent en concurrence avec le retour nécessaire d’activités de production et ils peuvent avoir un effet délétère sur le secteur du commerce de détail. En effet, il a été révélé, par exemple, que pour un emploi créé dans un entrepôt Amazon, le commerce de proximité perdait 2,2 emplois.


IV- UNE EMPREINTE ÉCOLOGIQUE CATASTROPHIQUE DE LA LOGISTIQUE

Aujourd’hui, le développement de la logistique n’est lié ni à des besoins en logistique, ni à des besoins d’emplois mais à un développement de l’immobilier logistique. Des investisseurs (groupes immobiliers en logistique) spéculent sur des terres agricoles ou naturelles pour construire des entrepôts logistiques, ce qui participe de l’explosion du nombre de m2 des surfaces d’entrepôts.

Il s’agit d’une logique de spéculation immobilière : les groupes immobiliers en logistique (comme par exemple Axtom) veulent être les premiers sur le front de l’urbanisation (limite des villes, sur les terres agricoles) pour acheter à bas coût, avec l’objectif de les valoriser plus tard… Et le moyen de les valoriser, c’est de faire progresser la métropolisation, donc de faire progresser le front urbain et de continuer à artificialiser.

Ce n’est aucunement un développement qui pourrait correspondre à un besoin du territoire. Mais c’est un développement extensif et spéculatif qui engloutit des surfaces naturelles et agricoles sans limite.

La logistique est et reste tributaire des modes de transport carbonés. 90 % des entrepôts logistiques sont uniquement reliés à la route. Et aujourd’hui, la logistique c’est 10% de la production de CO2 en France.

La pollution atmosphérique causée par les émissions des milliers de camions desservant les lieux de manière quotidienne a un effet extrêmement néfaste. Les émissions de CO2, d’oxyde d’azote et de particules sont très peu prises en compte ni par les développeurs, ni par les pouvoirs publics chargés de délivrer les permis de construire. Le dossier délivré au service instructeur se doit de comporter une étude de trafic, mais celle-ci est purement informative : en pratique, on ne peut limiter la quantité de poids lourds autorisés quotidiennement à desservir une zone logistique.

La logistique est un secteur qui fonctionne dans l’urgence permanente, sans aucune forme de planification, avec beaucoup de sous-traitance, des camions qui ne savent jamais à quelle heure ils vont partir et beaucoup d’imprévisibilité. En découlent des problèmes sociaux (pénibilité et urgence dans le travail créant des accidents du travail), et du point de vue écologique, l’urgence et la non-organisation empêchent de pouvoir faire du fret ferroviaire aujourd’hui.

Les surfaces très importantes d’imperméabilisation des sols causée par les complexes logistiques viennent également aggraver le risque d’inondation sur des zones déjà sensibles, classées en zone inondable par exemple.

L’artificialisation engendre des incidences négatives pour la protection de la biodiversité, la gestion des eaux pluviales, la réduction des terres agricoles et la préservation des paysages. Les entrepôts XXL sont particulièrement visibles et souvent concentrés au même endroit, portant une atteinte profonde et durable à la qualité des paysages naturels et humains.

Dans le secteur de la logistique c’est important de pouvoir déplacer les entrepôts, tout le temps, selon la position des magasins, selon l’évolution du prix du pétrole… On en construit sans cesse et on en abandonne plein… Ce type d’investissements immobiliers laisse derrière lui de nombreuses boites moches et vides.

La logistique empêche la relocalisation : tant qu’il sera possible de déplacer des biens et des matières à de très faible coût sur toute la planète ça va être très difficile de faire de la relocalisation.

Sources :

Rapport d’information déposé par la Commission des affaires économiques sur les incidences du déploiement des grands entrepôts logistiques le 13 décembre 2023.

Conférence du 23 mars 2024 de David Gaborieau, Maître de Conférences à l’Université Paris Cité et Chercheur au Laboratoire Cerlis, « Méga entrepôts logistiques : aberrations écologiques, économiques et sociales ? » à l’Odéum de Carcassonne.

Émission La Terre au carré « Enquête sur les grands entrepôts logistiques » du 13 février 2024 sur France Inter.

https://reporterre.net/Pourquoi-les-entrepots-logistiques-poussent-comme-des-champignons

https://reporterre.net/Les-entrepots-logistiques-le-Far-West-du-marche-de-l-immobilier

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